Le pouvoir de la photographie peut prendre des formes
insoupçonnées. Savary Chhem-Kieth, un photographe
amateur franco-khmer qui expose ce mois-ci au Grand Hôtel-Angkor
de Siem Reap, en a fait l'expérience il y a quelques années.
Rasmy, jeune khméro canadienne de 18 ans, était complexée
depuis son plus jeune âge par la teinte très brune
de sa peau. Ses parents ne firent rien pour arranger l'affaire,
et se mirent en tête de la surnommer Srey Khmao, littéralement
" fille noire ". Un jour, la jeune fille croise Savary,
un photographe amateur, qui lui montre un cliché d'une Apsara
dansant devant Angkor Wat. Jugeant que la photo était très
réussie et que l'Apsara lui ressemblait, la jeune fille accroche
le cliché aux murs de sa chambre. Les amis qui lui rendent
visite, abusés sans doute par la grâce éternelle
des femmes khmères, lui demandent s'il s'agit d'un portrait
d'elle. Depuis, la jeune femme ne se sent plus de joie. Si l'éternelle
harmonie des Apsaras d'Angkor rejaillit sur elle, c'est donc bien
qu'elle est belle aussi. Par l'intermédiaire d'un vulgaire
cliché amateur, Savary avait rendu à cette Khmère
d'outre-mer l'éclat de ses origines. Loin de s'enfermer dans
la célébration d'un sujet, la photographie avait révélé,
en miroir, la beauté du spectateur.
Savary est un photographe amateur qui s'est formé
sur le tas, à milles lieues de toute influence et de toute
référence aux grands noms. Lors de ses fréquents
allers et retours entre le Cambodge et le Canada, il se sert de
ses images comme d'un pont reliant les khmers d'outre-mer à
leur pays d'origine, " pour que les jeunes ayant grandi au
Canada connaissent la vie quotidienne au Cambodge, notamment à
travers les clichés de fêtes traditionnelles ".
Samedi, aura lieu au Grand Hôtel à Siem Reap le vernissage
de son exposition sur les temples d'Angkor. Une dizaine de photos
amateurs vendues 500 dollars pièce.
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Fragile simplicité :
Toute la pureté
de l'enfance, dans la naïveté de sa curiosité.Une
force de la nature, à la fois invincible et vulnérable.
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Parti en 1974 en France pour y suivre des études
d'agronomie tropicale au Havre, puis d'informatique, Savary s'entiche
de la photographie. Il immortalise tout ce qui lui tombe sous l'objectif,
clichés de familles, photos de classes ou de citoyens au
travail. En 2001, il rassemble tout les clichés de son obscur
travail et, encouragé par ses amis, se lance plus à
fond dans son art. Aujourd'hui pleinement conscient de ses talents,
cet éternel amateur s'efface néanmoins devant la magnificence
des temples d'Angkor. " Pour photographier le Bayon, je me
suis rapproché le plus possible du sol, comme si j'étais
tombé en enfer, afin d'agrandir le temple par un effet de
contre-plongée. C'est une marque de respect envers l'uvre,
explique-t-il avant de reconnaître : " La plupart du
temps, la qualité des clichés ne tient pas à
moi, mais au talent des bâtisseurs qui ont érigé
ces temples ".
Ky Soklim, Cambodge-Soir du jeudi 5 août 2004,
no2082
Exposition du 1er août au 31 août au
Grand Hôtel-Angkor. Vernissage samedi 7 à partir de
18h.
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